6 organisations syndicales sur 8 (CGT, CFDT - communiqué ici, , CFTC, CGC, FO et Unsa - communiqué ici) ont signé le 31 mars un accord concernant l’accès à l’emploi titulaire et l’amélioration des conditions d’emploi des contractuels pour les trois fonctions publiques, et qui servira de base à un projet de loi prévu pour l’automne 2011. S’agit-il de promouvoir, comme le défendent Georges Tron, secrétaire d’État chargé de la fonction publique, ainsi que certains syndicats signataires, un plan de résorption de la précarité dans la fonction publique ? Ou bien s’agirait-il plutôt, en consacrant le recours aux contrats à durée indéterminée de préférence aux contrats à durée déterminée prévalant jusque-là, de poursuivre l’affaiblissement du statut de fonctionnaire ?
Dans tous les cas, la question non posée est celle de l’absence d’une mobilisation massive des précaires de la fonction publique et c’est bien sur ce terrain là que la donne peut changer.
Le contenu de l’accord
Au terme de réunions hebdomadaires avec les représentants des employeurs publics et les syndicats depuis la fin 2010, le texte final expose en préambule son attachement au statut et reconduit le principe de l’affectation de fonctionnaires sur des emplois permanents afin d’endiguer le recours aux contrats précaires. La titularisation sera ainsi autorisée par concours et examens professionnels « spécifiques » ouverts, dès la loi publiée, aux personnes embauchées en CDI et CDD occupant des emplois permanents, y compris à temps non complets, et justifiant de quatre ans de contrats sur six ans, dont deux ans au moins avant la signature du protocole. Les CDD sur emplois permanents auprès du même employeur depuis au moins six ans sur huit ans (trois sur quatre ans pour les 55 ans et plus) deviendront automatiquement des CDI.
Dans la territoriale, le Conseil supérieur de la fonction publique territoriale réalisera le suivi des listes d’aptitude pendant que les centres de gestion s’occuperont des postes vacants. Des contrats écrits et de nouveaux contrats types sont censés garantir la transparence des recrutements. Un encadrement plus rigoureux des contrats temporaires et des licenciements est prévu. Le protocole évoque aussi des circulaires communes aux trois fonctions publiques, un contrôle de légalité et la création de comités techniques pour surveiller l’application des mesures. Le droit à l’évaluation et à la formation existe déjà pour des contractuels, mais le protocole prévoit de les renforcer. L’évolution de la rémunération, la prise en compte de l’ancienneté, l’indemnisation chômage et une indemnité de fin de contrat sont en outre envisagés, au moment où les contractuels de l’Etat deviennent électeurs et éligibles dans les comités techniques, comme ils le sont déjà dans la FPT et la FPH. Le rôle des nouvelles commissions consultatives paritaires de l’Etat sera en outre évalué. En cas de mobilité, certains CDI et leurs droits associés pourraient être transférés.
La position des syndicats
Selon Georges Tron qui a annoncé la veille de la réunion conclusive qu’il y aurait 100.000 « CDIsations » pour seulement 50.000 titularisations, nous aurions affaire à un « accord tout à fait important pour la résorption de la précarité dans la fonction publique, qui vise à corriger la situation absolument injustifiable de plusieurs dizaines de milliers de CDD ». Didier Bourgoin, secrétaire général du Snucliss-FSU explique que « Malgré 60 % de votes favorables au sein de la FSU, celle-ci n’a pas signé l’accord, 70% étant nécessaire (…) S’il n’est pas bon, cet accord n’est pas le plus mauvais et peut déboucher sur une réglementation favorable aux non-titulaires » (tract FSU ici).
Dorine Pasqualini pour Solidaires Fonction publique qui n’a pas paraphé l’accord (communiqué ici) constate que « Le cadre dans lequel se déroulera l’application du protocole – suppression d’un emploi sur deux parmi les départs, non dé-précarisation de nombreux contractuels – est très contraint. Et les employeurs n’ont pas un centime pour le mettre en œuvre ». Enfin, Baptiste Talbot, secrétaire général de la fédération CGT des services publics, justifie la signature du texte de la manière suivante : « La CGT-Fonction publique a signé ce texte, car ce dispositif de titularisation s’adresse à nombre d’agents et accorde des droits supplémentaires aux non-titulaires. Mais, concernant la territoriale, nous n’y trouvons pas notre compte. Nous constatons des difficultés récurrentes à faire appliquer les textes. Il faut mieux encadrer les choses. Notre crainte, c’est qu’il n’y ait pas volonté de titulariser ceux qui bénéficieront de CDI, avec des dérives sur les rémunérations ».
Une politique invisible : précariser le statut
Cet accord sort-il définitivement les « invisibles de la fonction publique » de cette précarité qui les affecte autant qu’elle ronge l’édifice protecteur du statut de fonctionnaire ? Surtout que cette précarité confine plusieurs centaines de milliers de salarié-e-s dans cette zone de non-droit où ne s’appliquent ni la protection statutaire ni celle offerte par le Code du travail ! Les précaires, ce sont quand même (au 31 décembre 2008) 872.600 non-titulaires, soit 16.5 % des effectifs totaux. En dix ans, la fonction publique d’Etat est passée de 12.6 % à 14.4 % de précaires, la fonction publique hospitalière de 9.6 % à 14.5 % et la fonction publique territoriale de 20.9 % à 20.5 % (cette baisse relative s’expliquant par le transfert de certains personnels d’Etat, tels les TOS, entre 2006 et 2008). C’est pourtant dans la fonction publique territoriale (et surtout dans les petites collectivités et les anciennes colonies ultra-marines) que la proportion d’agents non-titulaires est la plus forte : en 2009, sur un total de 1.9 million d’agents, 1 sur 5 occupait un emploi précaire (et 68 % sont des femmes) !
Si un CDI vaut mieux qu’un CDD, un CDI vaut-il mieux qu’un fonctionnaire ? Si cette logique semble avoir prévalu chez la plupart des syndicats signataires, elle avalise le coin de la fin de l’exception statutaire qui arrache des millions de salarié-e-s de la violence lucrative du marché (de l’emploi – autrement dit de l’autorisation à exploiter la force de travail pour en tirer profit). Le mieux social aurait été un plan général de titularisation équivalente à une fonctionnarisation des précaires qui de fait renforcerait le statut tout en permettant l’extension sociale du domaine des services publics.
La substitution préférentielle de la « CDIsation » à la titularisation dans la fonction publique s’inscrit délibérément dans la logique économique de la RGPP (Révision Générale des Politique Publiques) dont l’inspiration néolibérale vise à inscrire dans le champ du rentabilisable le principe de gratuité régissant la morale des services publics. La RGPP cherche aussi à réduire leurs champs d’action, notamment par le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, afin de dégager des marges de manœuvre pour le privé (sous la forme des PPP – ces partenariats public-privé signifiant le démarrage de processus privatisation de l’action publique). La « CDIsation », doublant comme une ombre sur le plan salarial la dynamique de privatisation des services publics, ne signifie pas autre chose que la privatisation rampante des personnels travaillant dans les trois fonctions publiques.
Et maintenant , on fait quoi ?
La signature de la Cgt, portée par une appréciation positive de ses principales directions syndicales nationales (et notamment celles de l’UGFF) lors des consultations internes des syndicats pour parapher ou non l’accord sur les Agents non-titulaires (voir note Cgt de synthèse interne), est-elle synonyme de trahison, d’acceptation de la précarisation du statut de fonctionnaire ? La réponse ne peut être tranchée par oui ou par non. En effet, s’il y a de quoi être sceptique et mauvaise langue à la lecture ne serait-ce que du titre du communiqué de la Cgt Fonction publique qui présente son accord comme une signature « responsable et vigilante », le débat interne lors des consultations des syndicats et fédérations de fonctionnaires Cgt a fait apparaître des positionnements moitié pour et moitié contre avec un positionnement à 80% contre des syndicats de la fédération des services publics Cgt (les territoriaux, là même où il y a le plus de précaires). En définitive, la signature de la Cgt a été rendue possible par le fait qu’au moins deux fédérations sur 3 étaient pour.
Cela étant dit, doit-on s’en arrêter là et maugréer dans son coin cette signature ou au contraire reprendre les engagements de la Cgt Fonction publique auprès de ses syndicats, qui affirme qu’elle sera vigilante sur la question du nombre de précaires à cédéiser et ensuite à titulariser dans l’objectif que personne ne soit laissé sur le carreau ? Il y a là pour tous les syndicalistes Cgt une attitude résolument offensive à avoir.
Les camarades opposés à la signature au nom de la revendication de la fonctionnarisation de tous les précaires immédiatement comme les camarades qui sont dans une approche de résorption par un suivi vigilant des différents comités de cédéisation et de titularisation doivent se retrouver sur une logique syndicale, à savoir la mobilisation de tous les précaires des 3 fonctions publiques. Car en définitive, c’est cela qui fera céder l’Etat patron sur le flou délibérément entretenu quant au nombre de titularisable et sa volonté de casser le statut protecteur de fonctionnaire.
Hors, les mobilisations unitaires des 9 décembre 2010 et du 20 janvier 2011 sont restées très insuffisantes, faute d’un travail de coordination réelle entre les syndicats de fonctionnaires Cgt à tous les échelons (Confédéral, fédéral, départemental et local).
Les camarades de la fonction publique de l’Union Régionale Ile de France (URIF) Cgt ont organisé le 23 mars dernier une mobilisation devant Bercy dont la tonalité était celle d’une bataille pour la titularisation de tous et toutes.
Si nous sommes très critiques à l’encontre de la signature du protocole sur les ANT, c’est aussi parce que le gouvernement pourra très bien pondre une loi à l’automne qui ne reprenne pas les quelques garanties obtenues et présentées comme des conditions de la signature Cgt, et ainsi pendant quelques mois prétendre avoir l’aval des organisations syndicales.
C’est pourquoi, quelque soit le contenu de la loi et ses déclinaisons pratiques, la meilleure défense reste l’attaque, à savoir engager dans les syndicats un travail d’information auprès des précaires, puis d’organisation et enfin proposer aux échelons les plus adéquats des mobilisations unitaires sur la base de la titularisation de tous et toutes.