Depuis des années, on annonce la mue réformiste de la Cgt sur le modèle qu’a connu la CFDT à la fin des années 1970. Pas si simple que ça : une majorité de syndicalistes Cgt continuent de pratiquer la lutte revendicative sur des bases combatives, la Cgt reste pour les travailleurs le syndicat de la lutte et du drapeau rouge. Alors comment expliquer que l’orientation confédérale majoritaire trace des perspectives revendicatives inspirées largement par un syndicalisme de régulation de l’économie de marché ?
Le dernier congrès confédéral a été marqué de façon générale par la poursuite des orientations des précédents congrès, laissant penser que la Cgt s’est véritablement engagée sur les rails d’un syndicalisme de propositions et de négociations, mâtiné de quelques grandes journées de grèves et manifestations en soutien à une stratégie syndicale dont le dialogue social entre partenaires sociaux responsables sous l’égide d’un Etat dont on attendrait qu’il protège les salariés, est le moyen pour gagner des conquêtes sociales. Ce constat est en partie vrai si on ne prête attention qu’aux déclarations de ses dirigeants les plus médiatisés comme à la seule lecture de ses textes de congrès. En effet, les notions et concepts Cgt telles que « syndicalisme rassemblé », « démocratie sociale », « syndicalisme d’adhérents », « syndicalisme de propositions et de négociations »… n’ont souvent pas grand-chose à voir dans la manière dont de nombreux syndicalistes Cgt les conçoivent et les mettent en œuvre sur le terrain. Et pour cause, une forte minorité, toutes sensibilités confondues, de la base au sommet, en ont une approche différente, marquée par le primat du rapport de force. Approche différente redoublée de différences entre les syndicats du privé et du secteur public.
Le problème majeur, qui s’est encore vérifié au dernier congrès confédéral de mars 2013, c’est l’incapacité à construire une orientation cohérente et alternative aux orientations proposées dans les textes préparatoires. On peut le vérifier dans les contradictions des textes définitifs votés à l’issue du congrès. Il marque des avancées sur de nombreux points. Par exemple quand la Cgt entend ouvrir le débat sur l’appropriation sociale et donc la légitimité de la propriété privée. Mais on peut lire en même temps dans les repères revendicatifs que la Cgt se bat pour que les entreprises soutiennent par les différents dispositifs d’épargne salariale des fonds régionaux pour promouvoir l’emploi durable. On oscille entre une approche timidement anticapitaliste et une approche non assumée de régulation de l’’économie de marché.
Pourtant, de nombreux amendements demandant à corriger les textes dans un sens lutte de classe remontent toujours dans les congrès. Les tonnerres d’applaudissements au dernier congrès pour saluer les interventions les plus dures à l’encontre du gouvernement socialo-vert et du Medef attestent d’une demande de radicalité de la part des syndicats. Comment expliquer ce décalage avec les interventions beaucoup plus mesurées des principaux membres de la direction confédérale ? Comment expliquer que lors des CCN, la majeure partie des secrétaires d’Unions Départementales s’en tiennent à une mise en œuvre in fine de la compréhension réformiste par la majeure partie de la direction confédérale des orientations de congrès ?
Lever les obstacles à une unité des anticapitalistes Cgt
Il y a pour ainsi dire plusieurs obstacles à l’expression d’une alternative anticapitaliste dans la Cgt : beaucoup de militants et militantes, quelques soient leurs niveaux de responsabilités, rechignent à mener la bagarre de manière collective, ne voulant pas être perçus comme fractionnistes. Or, et c’est un comble, n’est-ce pas une sorte de fraction réformiste qui est aux manettes de la plupart des postes clés de l’organisation confédérale ? Il y a là un véritable problème d’expression collective et de démocratie syndicale. L’autre obstacle, qui en est la cause et la conséquence, c’est le refus de nuire à l’organisation : si la Cgt se déchire en interne, cela ne peut que l’affaiblir face à ses ennemis de l’extérieur (patronat, autres syndicats…). Certes, cela peut l’affaiblir pour un temps mais le fait de laisser la Cgt dans les eaux boueuses du réformisme, c’est l’affaiblir aussi et définitivement. Autre obstacle et de taille : la diversité, la dispersion et le sectarisme des militants et militantes qui affichent clairement leur opposition à l’orientation actuelle. Ces 3 facteurs jouent à plein comme repoussoir pour une majorité de syndicalistes Cgt préférant gauchir quelque peu les orientations authentiquement réformistes.
Il y a donc une responsabilité à ce que les courants anticapitalistes se fédèrent sur des bases communes larges et ouvertes, en laissant de côté leurs différents idéologiques souvent liés à des histoires et parcours militants différents (du PCF, des « trotskistes », des syndicalistes révolutionnaires, des « maoïstes », des libertaires…). Comme il nous faut être capable de se comprendre et d’entendre les différences de vocabulaire qui se traduisent souvent par des discussions et oppositions stériles alors qu’on veut dire la même chose. Ce qui doit interpeler les diverses minorités organisées, c’est leur capacité à parler d’une même voix avec un langage et des références comprises par tous les syndiqués Cgt.
La question de se doter d’outils pour avoir les moyens d’une telle politique peut passer par une revue syndicale, par un site internet, par des rencontres régionale et nationale, etc… Cette question n’est pas anodine et purement technique car elle rejoint les problèmes de démocratie syndicale.
Construire une gauche syndicale potentiellement majoritaire
Mais cette unité des syndicalistes anticapitalistes affichés ne peut se limiter à être un rassemblement anti-direction confédérale. Elle n’aura de sens que dans la volonté de construire dans les luttes et dans la Cgt une alternative d’orientations et de pratiques pour l’ensemble des travailleurs et travailleuses. Car la majeure partie des syndicalistes Cgt qui mènent la lutte de classe au quotidien ne font pas partie des minorités organisées, ne les connaissent pas la plupart du temps ou les regardent avec méfiance. Or, si beaucoup de cégétistes sont arrimés aux conceptions réformistes classiques reflétant la division social-démocrate entre parti qui fait les réformes de structure et syndicat qui revendique à la marge, une très grande majorité de militant-e-s et syndiqué-e-s se battent sans perspective d’ensemble à leurs multiples combats. C’est sur ce vide idéologique que le réformisme gagne aussi.
C’est sur cette abyme d’une pensée alternative au capitalisme qu’existe potentiellement une majorité, au vu des contradictions de la période (crises économique, politique et écologique) et des évolutions positives de la Cgt même si encore fragiles (autonomie à l’égard des partis politiques, luttes sociétales intégrées à la réflexion d’ensemble, unité syndicale).
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