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  • : Communistes Libertaires de la CGT
  • : Les communistes libertaires sont un des courants fondateurs de la Cgt, sur une base anticapitaliste et révolutionnaire. Nous entendons renouveler ce combat, en intégrant les évolutions de la société d'aujourd'hui.
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QUI SOMMES NOUS ?

Ce blog est l’outil d’expression de communistes libertaires qui militent à la CGT, où ils défendent une perspective de renouveau du syndicalisme révolutionnaire, mouvement fondateur de notre confédération, et l’unification d’un syndicalisme de lutte et de transformation sociale. 

Nous combattons l'orientation confédérale actuelle de la CGT et agissons pour qu'une alternative à cette orientation émerge. Nous ne nous revendiquons d’aucune tendance ou fraction formalisée au sein du mouvement syndical. 

Pour autant, le tournant pris par notre confédération ces dernières années vers un syndicalisme d’accompagnement, voire de cogestion, nous incite à constituer un front syndical commun avec tous et toutes celles qui se réclament et pratiquent la lutte de classe, professionnelle et interprofessionnelle, autour des revendications et la lutte pour les faire aboutir. 

Attachés à la démocratie syndicale et au fédéralisme qui restent de mise au sein de la Cgt, respectueux du mandat donné par les adhérents et adhérentes des structures auxquelles ils et elles participent, les communistes libertaires relèvent d’un courant fondateur et constituant de la Cgt. 

Les syndicats, forme première d’organisation d’une résistance ouvrière, ont un caractère double et contradictoire. 

Organisations de masse ayant vocation à regrouper tous les exploités autour de leurs revendications immédiates, elles restent soumises à la domination politique d’un patronat qui les pousse à une plus grande intégration à l’appareil d’Etat. 

Dans cette bataille qui n’est pas qu’idéologique, nous ne partageons pas l’idée qu’il y aurait de mauvaises directions corrompues face à une base adhérente dont la « pureté » n’égalerait que la volonté d’en découdre. 

Bien au contraire, il existe à tous les niveaux de nos organisations une contradiction entre un syndicalisme de classe dont l’objectif est de mettre fin à l’exploitation capitaliste et un syndicalisme d’accompagnement dont la finalité réside dans l’adaptation du monde ouvrier qui produit les richesses à l’économie de marché globalisée qu’on voudrait faire paraître indépassable. 

C'est pourquoi nous n'entendons pas oeuvrer en simple opposition à nos directions actuelles mais en alternative à celles-ci, pour l'unité du mouvement social. 

Pour tout contact avec les communistes libertaires de la CGT : 

          communisteslibertairescgt@gmail.com

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Liens De Nos Amis

15 juillet 2011 5 15 /07 /juillet /2011 07:16

festival-jolie-mome.jpgLa Belle rouge. La Compagnie Jolie Môme organise, du 29 au 31 juillet, la sixième édition de son festival à Saint-Amant-Roche-Savine (Puy-de-Dôme). Au programme, du théâtre (Résistances, « Tristan 1938 » ; Avenir radieux, une fission française ; Morte ou vive… Vive la Commune !), de la chanson (Sébastien Guerrier, Zone d'expression populaire), des ateliers politiques, du cinéma (Les Nouveaux Chiens de garde, avant-première du film de Gilles Balbastre et Yannick Kergoat), de la musique (fanfare Les Fils de Teuhpu), un bal (Bringuebal) et… de la fraternité. Sans oublier la sortie officielle du nouvel album de la Compagnie Jolie Môme à La Belle rouge, Paroles de mutins, et un spectacle pour enfants à partir de 3 ans : L'Enfant et l'allumeur de rêves. Le programme complet et les informations pratiques.

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3 juillet 2011 7 03 /07 /juillet /2011 11:01

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Christian Corouge - Michel Pialoux

Résister à la chaîne

Dialogue entre un ouvrier de Peugeot et un sociologue

Introduction de Michel Pialoux et Épilogue 2010

Édition établie par Julian Mischi

Parution : 17/03/2011

ISBN : 978-2-7489-0138-2

464 pages

12 x 21 cm

23.00 euros

 

 

 

Les extraits ci-dessous sont tous issus du site atheles et des éditions Agone dont on ne saurait trop vous  recommander leurs publications et livres.

Par ailleurs Là bas si j'y suis de Daniel Mermet y aconsacré une émission radiophonique le mercredi 29 juin que vous pouvez ré-écouter ici.

 

 

 

"Pendant quatre jours je t’ai raconté des trucs sur le travail, les lois Auroux, les trente-huit heures… Seulement ça, je vais te le dire, ça crée un déséquilibre complet, parce qu’une semaine comme ça, c’est pas facile de la vivre quand tu travailles en chaîne et que t’as en plus plein de boulot syndical à faire. C’est pas facile.

Alors mes mains, dans tout ça, qu’est-ce qu’elles deviennent, mes mains ? On dit : « Bon, en 1974, il avait mal aux mains. Maintenant ça a l’air de passer. Il est devenu beaucoup plus intellectuel, il n’a plus mal aux mains, il a mal à la tête… » Il est fou, quoi. Seulement, moi, je travaille encore avec mes mains ! Et ça, ça me fait toujours mal. Mais maintenant je me tais. Parce que, pendant dix ans, tu en souffres tout seul. Et en même temps, tu as l’impression d’être une espèce de cobaye… aussi bien de la part des copains… qui veulent surtout pas écrire ce genre de truc avec moi, alors qu’en fait, à mon avis, leur boulot de militant – c’est à eux que je devrais le dire –, ça aurait été de faire ce livre avec moi."

 

Au début des années 1980, le sociologue Michel Pialoux rencontre Christian Corouge, ouvrier et syndicaliste chez Peugeot-Sochaux. Ils entament un long dialogue sur le travail à la chaîne, l’entraide dans les ateliers et la vie quotidienne des familles ouvrières. À partir de l’histoire singulière d’un ouvrier, devenu porte-parole de son atelier sans jamais le quitter, sont abordées les difficultés de la constitution d’une résistance syndicale.

 

> Lire un entretien avec Christian Corouge sur le blog des éditions Agone: « Je suis toujours resté à l’usine ».

> Lire une autre chronique de la chaîne Peugeot : Grain de sable sous le capot. Résistance & contre-culture ouvrière : les chaînes de montage de Peugeot (1972–2003) (Agone, 2006).

Michel Pialoux a notamment écrit (avec Stéphane Beaud) Retour sur la condition ouvrière. Enquête aux usines Peugeot de Sochaux-Montbéliard (Fayard, 1999).

 

couverture-retour-sur-la-condition-ouvriere.jpgEdition de Poche

Prix éditeur : 10 euros

Nombre de pages : 480 pages

Première publication : 1999

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Extraits

 

Ce qu’on attendait, nous, de la gauche. C’était pas demander le paradis… non ! C’était simplement demander un minimum de lois, parce qu’on savait bien, on le sait tous qu’on est incapable de changer une société comme ça, du jour au lendemain. À moins d’une révolution et là, ça devient complètement différent, et personne n’est mûr pour faire ce genre de truc à l’époque actuelle, et c’est pas si simple. Bon, on s’attendait au moins à avoir un minimum de lois-cadres. Regarde, moi, la gauche m’aurait permis… aller à l’université. Et pourquoi que j’aurais pas demandé un congé de trois mois, moi, merde ! Pourquoi j’aurais pas droit à une bourse d’études ? Je me sens pas plus con qu’un fils de toubib, qu’un fils de notable, bon Dieu, quoi ! Et même quitte à reprendre des études ! C’est vrai que j’aurais dû piocher beaucoup plus que les autres. C’est vrai ! Mais pourquoi que j’y serais pas arrivé ? Et pourquoi que ça n’a pas été fait ?

Pour un prolo, c’est dur, il est fatigué, toute la semaine sur une chaîne, il est crevé, surtout un OS qui a gratté sur sa chaîne. Un mec qui a vingt ans, que tu vois son corps, petit à petit, se racornir sur lui-même, ne plus parler, se recroqueviller petit à petit, intellectuellement et puis physiquement. Et ce mec, s’il veut apprendre quelque chose, il est obligé d’aller le samedi, sur son temps de loisir, apprendre, contrairement à tous les autres qui peuvent y aller pendant leurs heures de travail, contrairement à tous, et qui sont payés. Enfin, moi, je trouve ça complètement immoral, mais dégueulasse, et pourquoi personne n’en parle ? Quand t’es OS et que t’arrives dans une usine comme ça, quand tu veux un livre, c’est à Besançon qu’il faut que t’aille l’acheter. Parce qu’ici t’as même pas un libraire qui est dépositaire de bouquins, qui a tous les bouquins. C’est un choix politique de Peugeot, sans doute. Il règne en maître sur cette région. Mais ça n’a jamais été non plus la revendication d’aucune organisation syndicale ou politique. Et alors, si ce n’est pas une revendication, c’est pas comme ça que le rapport de force s’établira, à un moment donné, que Peugeot sera obligé de lâcher du lest…

 

***

 

Comment ça a démarré [la grève de 1981] ? Eh bien, Peugeot, pour relever le défi des Japonais – ils parlaient beaucoup des Japonais à l’époque –, a décidé d’augmenter un jour la productivité de 4 %. Seulement, si on parle d’augmenter la productivité, quand on est dans un BM et quand on est sur les chaînes, on reçoit ça différemment. Eux disent qu’il faut augmenter le pourcentage de véhicules construits par salarié : le raisonnement du BM, c’est mathématique. Mais pour nous, sur les chaînes, on sait très bien que, quand Peugeot parle de productivité, il y a trois solutions : ou bien il augmente la vitesse de chaîne, ou bien il supprime des postes, ou bien il bourre les bagnoles les unes sur les autres. Ou encore : on passe de véhicules « chers » à des véhicules moins « chers », parce que les bagnoles sont différentes. Sur une 305, par exemple, il y a un certain volume de travail à faire, alors qu’il y en a d’autres, une 604, par exemple, sur lesquels il y en a peut-être bien le double. Donc tu peux augmenter la productivité en laissant le même nombre de postes de travail, seulement les mecs ils vont gratter du début jusqu’à la fin de la journée ! Eh bien, c’était ça les 4 % que Peugeot prévoyait, c’était ça ! Bien sûr, au début, ça passait mal, c’est pour ça d’ailleurs qu’il avait annoncé la couleur 3 ou 4 mois avant. Tranquillement, il avait expliqué que c’était pour « relever le défi japonais »… Ensuite, il a vu que ça ne passait pas, alors il a promis deux jours de congé comme ça, deux jours supplémentaires si la productivité était augmentée de 4 %.

C’était aussi l’époque où on parlait de la cinquième semaine de congé, qui n’avait pas encore été votée à l’Assemblée nationale et que Peugeot ne voulait pas payer à un taux complet, c’est-à-dire qu’il ne voulait pas y inclure les primes. Dans nos congés payés, y’a beaucoup de primes qui sont liées directement au travail, y’a l’ancienneté, y’a la prime de chaîne, y’a la prime de doublage… Y’a plein de primes. Alors, quand t’es en congé, quand on ne te donne pas tes primes, ça te fait diminuer tes ressources de 20 à 30 % sur ta paye. Donc il ne voulait pas nous les payer, et c’est nous qui avons relancé, à ce moment-là, tous ces mots d’ordre, à savoir qu’on préférait avoir trente-huit heures par semaine et pas de chômeurs. « Trente huit heures et pas de chômeurs ! », c’était une revendication de l’époque qui avait été trouvée comme ça. Et puis il y avait le ras-le-bol ! Les mecs, ils en avaient marre de gratter comme ça. Ils avaient voté à gauche, il fallait que ça pète quoi !

 

***

 

C’est complètement différent ! Moi, si tu veux, ce que je trouve, c’est qu’on est revenu au travail à la chaîne du début des années 1970 où il y avait un climat social qui était, je ne peux pas dire bon, parce que les conditions de travail c’est jamais bon, c’est jamais sain, mais ce climat social, il avait au moins le mérite d’exister, alors qu’à la fin des années 1970 il avait été complètement détruit, complètement laminé, complètement supprimé. Tu n’avais plus le droit de faire du café sur le bord d’une chaîne, tu n’avais plus le droit d’avoir un canard, tu n’avais plus le droit de rien du tout, c’était une époque où tu n’avais même pas le droit d’avoir un tract à ton poste de travail, le chef passait, il te le prenait, alors que maintenant, si je vois un chef d’équipe quand je distribue, eh bien, ça ne me gêne pas, je rentre dans le bureau, et je lui en donne. Et souvent, le mec, il est content, et s’il n’est pas content, il n’est pas content et il le fout à la poubelle, c’est son problème, mais tout le monde est servi ! Mais ils ne vont plus t’emmerder, ils ne vont pas te courir après, alors qu’avant c’était la période où ils te couraient tous après, c’était systématique, tu ne pouvais pas faire un mètre quand tu étais délégué sans avoir deux ou trois mecs sur toi. Maintenant, non ! C’est un rapport de force qui a changé.

Peugeot a compris qu’il avait été trop loin, que les 600 cadres, par exemple, qu’il avait amenés un jour, ici, pendant le conflit, pour nous empêcher de bloquer une chaîne, ç’avait été de trop. Et depuis ce jour-là, il y a une haine vis-à-vis des cadres, en carrosserie. Tu ne vois jamais de mecs en cravate circuler sur les chaînes sans qu’il y ait les vieux slogans qui ressortent : « Les cravates à la chaîne ! » Et les mecs ont tellement honte qu’ils se tirent vite. Alors que, la cravate, c’est pas une chose tellement critiquable, tu peux même avoir une cravate et puis être… mais pour les mecs, c’est resté un signe… la cravate, c’est toujours apparu… T’as ceux qui sont bien habillés et qui se glandouillent. C’est pas qu’ils ne travaillent pas mais ils font un autre genre de boulot. Et puis t’as ceux qui sont dans le cambouis jusque-là, et, ceux-là, ils ne travaillent pas en cravate, quoi.

 

 

 

Revue de presse :

 

 

Compte-rendu

Fruit de nombreuses discussions et échanges entre un ouvrier spécialisé de l’usine Peugeot de Sochaux, Christian Corouge, et un sociologue, Michel Pialoux, enregistrés au cours des années 80, Résister à la chaîne constitue un ouvrage important, en ce qu’il donne à saisir, dans les propos de Christian Corouge, la vie à l’usine, mais aussi la vie hors usine et l’importance des multiples formes de résistances, collectives et individuelles, face à l’ordre usinier. Plus qu’un témoignage, ce dialogue constitue une manière réflexive de retracer les expériences singulières d’un militant ouvrier, ouvrant la voie à une approche située et compréhensive des réalités du travail à la chaîne, mais aussi du travail militant.

L’expérience, au cours des années 70, de la rencontre avec des intellectuels pour la réalisation de films militants, marque Christian Corouge. Il a une conscience aiguë du potentiel émancipateur que peut apporter le combat culturel, et cette conscience marquera sa trajectoire, les formes que revêt son militantisme, et le regard qu’il porte sur les rapports de force à l’intérieur des structures syndicales. On saisit alors l’importance de l’accès à la prise de parole pour les ouvriers spécialisés (OS), mais aussi les immigrés puis plus tard les intérimaires, face aux ouvriers professionnels (OP) au sein de la CGT, en lien avec les divisions statutaires traversant les groupes ouvriers de l’usine. Car si la question de l’autonomie se pose dans le travail, elle se joue également au sein des instances de mobilisation collective, dominées par les OP. Christian Corouge porte alors un regard précis sur les condition de travail à la chaîne, la fatigue physique et la dureté de certains épisodes de répression, avec une préoccupation récurrente, celle des conditions concrètes d’élaboration de revendications qui soient discutées et portées par les OS eux-mêmes. Du durcissement des formes d’encadrement et de contrôle au travail, aux grands mouvements de grève qui mobilisent l’usine, en passant par les difficultés personnelles, ces échanges entre Christian Corouge et Michel Pialoux montrent combien le combat politique est à mener sur tous les fronts.

Violaine

Alternative libertaire n°207, juin 2011

 

 

La Révolte n'est pas loin

Christian Corouge, ouvrier, militant syndical CGT, chez Peugeot, à Montbéliard, est en retraite depuis le 1er mai. Une date symbolique. Et le 1er mai, il était à la manif, évidemment.

J’ai donné la parole à Christian Corouge en février dernier. À l’occasion de la parution de Résister à la chaîne, aux éditions Agone, je l’ai à nouveau interrogé sur sa vision de la condition d’ouvrier dans le monde d’aujourd’hui. Je précise que cet entretien date du début du mois de mai, avant qu’éclate le mouvement des Indignés et avant la sortie de DSK de la scène politique par la porte des faits divers.

Retraite, le mot est à double sens. Comment un militant syndical très engagé comme vous le prend-il ?

La retraite, c’est une espèce de libération par rapport aux contraintes d’horaires. Et, en même temps, cela ne va pas changer fondamentalement le mode de vie que j’ai. Je vais m’impliquer davantage dans les sections retraités. Et voilà.

Le combat syndical a toujours un sens aujourd’hui pour vous ?

Oui, bien sûr, il n’y a pas de rupture avec l’arrêt du travail. C’est une autre phase. Les anciens doivent s’impliquer.

La publication d’entretiens vieux de vingt-cinq ans, comment percevez-vous cela ?

Cela fait un peu bizarre de relire ce qu’on avait fait avec Michel Pialloux, il y a 25, 30 ans. Fondamentalement, il n’y a rien de changé. L’accent est beaucoup mis, c’est l’essentiel du livre, sur les mouvements syndical et politique qui sont toujours un peu incapables en France de gérer ces nouvelles populations, les anciens OS et maintenant les intérims. C’est toujours le problème. Comment peut-on faire fonctionner ces personnels, ces couches sociales un peu insaisissables, leur confier des responsabilités pour qu’elles deviennent des acteurs à taux plein du mouvement syndical et politique.

Depuis vingt-cinq ans, la situation sociale et politique a beaucoup changé, mais le mouvement syndical n’a pas trouvé de solution pour défendre efficacement ces travailleurs-là ?

Non, bien entendu. Le mouvement syndical continue normalement sa trajectoire, même si c’est avec une implication plus forte des OS, du personnel permanent sur les chaînes. C’est un truc qui s’est modifié parce qu’on avait réussi à mener ce combat-là, que les OS aient des responsabilités. C’est cette population qui travaille majoritairement en chaîne. Les travaux les plus pénibles sont faits à 80 % par ces intérims et on est confronté à une difficulté d’organisation, de contact avec cette population. On n’arrive pas du tout à rentrer dedans. Et on ne trouve pas de meneur charismatique dans ces gens.

Il y a aussi Peugeot qui, par la durée des contrats, casse systématiquement tout ce qui pourrait être mis en place. J’accuse beaucoup le Parti socialiste d’avoir développé cet intérim pour résoudre le problème d’emploi. C’est un gros pavé qu’il nous a foutu et maintenant, plus personne ne veut s’en occuper.

En même temps, il faut bien voir la situation de l’automobile. D’un côté, il y a un peu la hantise de l’externalisation, à savoir que les bagnoles soient faites ailleurs et donc tout le monde trouve que c’est un pis-aller. Après tout, l’intérim, ce n’est pas bien, mais, bon, dans la conjoncture actuelle, voilà. Et moi, je suis un peu inquiet parce que je pense que les structures syndicales pensent un peu comme ça.

 

En fait, on a du même côté une organisation patronale efficace et des syndicats qui entrent dans le jeu. Et de l’autre côté, on a des salariés qui ont beaucoup moins le sens du collectif.

Ah oui, il y a les méthodes patronales de management qui y ont été pour beaucoup, qui ont cassé les groupes constitués, on a la disparition des ouvriers professionnels dans les usines, qui étaient quand même des noyaux durs. Les gens en chaîne les plus combatifs ont été mis à des postes un peu en dehors parce qu’ils ont souvent 40, 45 ans. On les met à des postes moins durs et, en même temps, on les isole. Tout ça ne facilite pas le collectif. Ensuite, tout est fait pour que le salarié se trouve en position individuelle devant le patron, c’est la nouvelle forme de management, les nouveaux cadres sont formatés comme ça. Et ça, on n’arrive pas à dépasser le cap.

Mais je pense qu’il y a quand même de l’espoir. Les dernières élections professionnelles qui ont eu lieu en décembre ont montré qu’on progressait beaucoup dans le 2e collège, dans le collège techniciens agents de maîtrise. C’est un combat qui vaut la peine d’être mené puisqu’on arrive à 30 % des voix. Ce n’est pas insignifiant quand on connaît le tri à l’embauche, etc…

Cette situation est spécifique de l’industrie automobile ou c’est un mouvement général au niveau français, voire européen ?

Je pense qu’au niveau français, c’est un mouvement général. Tous les pays européens vivent sous des formes de syndicalisme un peu différent suivant les pays, ont des statuts et une histoire différents. Maintenant, on est tous confrontés à une même réalité, les ouvriers allemands de Mercedes, de Volkswagen, sont dans le même genre de choses. On leur a diminué leur pouvoir d’achat, on les a baisés sur les retraites, la productivité. C’est une attaque réglementée contre le monde ouvrier, ce qu’il en reste.

Pour en revenir aux entretiens qui viennent de paraître chez Agone, j’ai lu une histoire qui date de l’époque Mitterrand, que personnellement j’ai connue, mais qui me paraît extraordinairement ancienne. Comment jugez-vous votre action, votre combat ? Qu’est-ce qui a bien fonctionné ? Qu’est-ce qui a été raté ? Un jugement de ce type est-il possible ?

C’est un peu difficile. Je crois que ce qui a été raté, c’est qu’on n’a pas pu influer sur la démarche du Parti socialiste et qu’on a vu en même temps plein de copains responsables syndicaux tomber dans la course du carriérisme, eux aussi. Ils se sont trouvé élus maires de communes, comme l’ancien secrétaire du syndicat de l’époque. Dans le Doubs, c’est un peu particulier parce que la fédération (du Parti communiste) avait fait scission et était devenue Fédération démocratique de Franche-Comté puisque le PC l’avait exclue. Ces gens-là ont adhéré massivement au Parti socialiste. Au début, c’était la gauche du Parti socialiste et, les années passant, ils sont venus dans le noyau mou du Parti socialiste.

Le bouquin porte beaucoup sur la difficulté de militer. Des copains communistes, j’en connais encore un qui travaille comme retoucheur, sinon, je ne connais plus de militant PC à l’usine. C’est la disparition, l’effondrement du groupe politiquement organisé. C’est un constat amer.

En même temps, je suis un peu optimiste. Je me dis qu’on va reconstruire, le mouvement social est un éternel recommencement. Il y aura autre chose qui va se faire. Avec des tentatives de Front de gauche, autre chose. La situation n’est pas désespérée.

 

Au niveau politique, nous sommes actuellement dans une situation très particulière. L’irruption du Front national dans les usines, ça vous fait quel effet ?

Ça fait un frisson dans le dos et, en même temps, ça fait longtemps, les coups de gueule que j’ai pu passer étaient liés à ça. Même si Montbéliard, ce n’est pas la région parisienne, autour de cette usine, les grands ensembles ont été construits dans les années 70 pour les travailleurs qui venaient de tous les pays et ça ne posait aucun problème au départ. Au fur et à mesure des années, parce qu’il faut bien remettre dans le contexte, les ouvriers professionnels ont déserté les communes parce qu’ils avaient un peu plus de revenus et sont allés faire bâtir dans les lotissements des villages environnants. Et ceux qui travaillent à deux, même comme OS, ont fait bâtir aussi. Maintenant, les prêts sont tellement importants qu’on endette les gens même avec un petit salaire sur 25 et 30 ans. Et donc, ce tissu social qui existait dans les grands ensembles a complètement disparu, a été laminé. Il ne reste qu’une population socialement très pauvre, avec deux, trois ouvriers encore, avec des familles d’origine immigrée, avec tout ce que cela comporte comme désagréments parce que rien n’est fait, parce que le tissu social s’est complètement éclaté et donc ces gens-là ont du mal et ont l’impression d’être complètement abandonnés par tous les partis politiques de gauche.

Alors, la montée du Front national là-dedans, les usines qui ferment, les stages bidon qu’on fait pour les ouvriers licenciés, ces misères de primes qu’on leur donne en partant, les mauvaises écoles, les mauvaises routes, les mauvais magasins, tout ça, c’est pour eux, et c’est vrai qu’il y a un ras-le-bol collectif d’une partie de ces gens-là. Moi, je suis assez content parce qu’après vingt ans de merde, il n’y a que 32 % qui votent au Front national. Ça aurait pu être 50 %. Il y en a qui résistent encore, mais ça va être de plus en plus difficile. À moins que la Gauche se reprenne.

 

Il y a une question qui en découle. Aujourd’hui, la population ouvrière est essentiellement une population immigrée qui n’a pas le droit de vote. Percevez-vous une conscience politique et syndicale chez ces ouvriers ?

La conscience syndicale, oui. On voit bien dans les élections professionnelles, dans les ateliers les plus durs, les ateliers d’OS, les ateliers où ça travaille à flux tendu avec une productivité très forte, les gens votent à 90 % pour les élections professionnelles. Il y a une conscience très forte, et ils ne votent pas à FO ni à la CFTC, ils votent à la CGT à 65 %, 67 %.

Avant, l’attitude syndicale, dans les villes ouvrières, c’était aussi à l’extérieur. Maintenant, c’est fini. Il y a l’usine, et, en dehors de l’usine, il n’y a plus rien. C’est un peu le désert. Et donc, pour donner un fond politique, ou une conscience de classe, il faut retravailler dans les communes sur le tissu social. C’est bien là qu’il y a problème parce que les élus n’habitent plus dans ces quartiers, ne sont plus du tout opérants comme cela pouvait être dans les années 60, 70 ou début des années 80.

 

Tous les investissements publics, toute la politique sociale de la ville, c’est du pipeau ?

C’est carrément du pipeau, oui, les rénovations de quartiers, les budgets mis en plus dans les écoles, dans les mauvaises écoles, c’est du pipeau. Les mauvaises écoles restent des mauvaises écoles, avec des enseignants, souvent, qui font ce qu’ils peuvent, mais un peu démotivés. Et avec des parents d’élèves qui ont déjà pour la plupart loupé l’école et ne tiennent pas du tout à avoir à nouveau une confrontation leur rappelant leur échec. Donc, il n’y a pas de relais mis en place, il n’y a pas de médiateurs. Les gosses, ils ne connaissent la ville que pour y aller traîner le soir, ils ne connaissent pas la ville comme lieu de sociabilisation. Bien sûr, ça coince. Les gens ne sortent plus de leur propre commune, de leur propre quartier, alors que ces gamins-là ont besoin de découvrir tout à fait autre chose.

 

Cela rejoint un aspect de vos propos dans le livre, celui de l’engagement culturel populaire. Où en est-on aujourd’hui ?

On n’en est pas loin. Je crois qu’on recule. Dans le mouvement ouvrier, j’ai toujours posé la question de la culture comme primordiale. Je pense que, déjà, les échecs répétés dans la scolarité qui nous emmènent à travailler sur une chaîne, ce n’est pas terrible. Si en plus, on n’ouvre pas le cerveau aux gens. Il faut les aider à découvrir des gens qui écrivent sur différents sujets, une façon de parcourir le monde à travers la littérature ou le cinéma, mais qui soit politique, qui ne soit pas Eddy dans la montagne. On n’a même plus le même cadre de référence. Moi, je crois que c’est très dangereux. Dans une concentration ouvrière comme le pays de Montbéliard, voir Johnny Hallyday arriver et avoir 25 000 personnes à guichets bloqués, ça rend triste, on se dit que le combat culturel n’a pas été gagné du tout. Et je crois que maintenant, la Gauche se dirige vraiment vers une forme élitiste de culture, où les pauvres auront droit à un feu d’artifice au 14 juillet et de temps en temps une galette des Rois avec les vieux. Et le reste du temps, il ne se passe rien.

 

Vous sentez de l’abattement, de la passivité ou de la révolte ?

Je ne sais pas trop comment analyser ça, je ne suis pas psychosociologue, mais, à force d’être abattu de cette façon-là, la révolte n’est pas loin. À un moment donné, à force de trop presser le citron, ça n’ira plus. Il y a, pas de la violence, mais une agressivité. Il y a des recommandations de la direction d’Automobiles Peugeot d’être un peu plus cool avec les intérims parce qu’on ne sait pas comment ils vont réagir. Eux sentent peut-être davantage que nous, ce climat qui se développe de dire : un jour, il faudra tout péter pour se faire entendre.

 

Avez-vous l’impression que l’échéance politique de 2012 fonctionne comme frein social, avec une sorte d’espoir que cela va aller mieux après, qu’on va pouvoir changer en changeant de président ?

Je pense que c’est plutôt l’effet inverse. La conscience ouvrière ces temps-ci, c’est de dire à peu près : Sarkozy, Strauss-Kahn ou Royal, qu’est-ce que ça change ? Cela explique en partie ces gens qui vont directement au Front national. Sur ce qu’ils ont vécu depuis 1981 jusqu’à maintenant, que ce soit la Droite ou la Gauche, ils ont eu du mal à compter les points. Pour eux, ça n’a pas été que des avantages. Les gens sont dans la confiture jusqu’au cou, dans la glu, bien ancrés dans leur petit truc individuel.

Il faut avoir un rapport de forces. La Gauche, elle sera ce qu’on en fera. Comment créer le rapport de forces, avec qui ? Pour le moment, tout est bien établi, tout est bien découpé par les médias. Il faudrait bien parler de ce phénomène de médias, de presse. Plus les portables se démocratisent, plus il y en a, plus il y a de téléviseurs, plus il y a Internet et plus on a l’impression qu’on vit dans le mouvement, que cela ne sert qu’à picorer les merdes de films, toutes les conneries du monde. Mais, il n’y a pas d’évolution intellectuelle par rapport à ceux qui l’utilisent, dans le milieu ouvrier je parle. Il faut rediscuter d’une Gauche, avec des valeurs de Gauche, et savoir ce que c’est vraiment la Gauche, ce qu’on peut espérer. Pour moi la Gauche, c’est fondamental, doit s’occuper des moins bien lotis, changer la conscience sociale et arriver à une redistribution, quitte à faire la peau aux patrons.

En même temps, on a vécu dans l’histoire des moments pires que ceux-là. Le problème, c’est à quel moment le point de rupture va être atteint, à quel moment ça va saturer, à quel moment les gens vont en avoir ras le bol.

Punir les pauvres, c’est tout à fait d’actualité. Une anecdote parmi tant d’autres, la proposition de ne pas faire rentrer les automobiles les plus polluantes dans les centres-villes de certaines villes de France, c’est punir les pauvres. Les bagnoles qui polluent le plus, c’est les bagnoles des mecs qui n’ont pas de fric. Donc, ils n’auront même plus accès aux centres-villes. On ne dit pas démocratiquement les pauvres sont foutus dehors, mais cela revient au même. C’est quand même dramatique d’en arriver là. Si on ne veut plus de pollution dans les villes, et bien, on arrête de faire entrer les bagnoles. Mais là, non, on cible une population, tout le temps la même. Et ça, c’est pris d’une façon très humiliante et en même temps révoltante par rapport à ces élus qui se permettent ce genre de choses.

Je pense qu’il risque d’y avoir un moment de révolte. À quel moment, le point de rupture aura lieu, je ne sais pas. Le problème de la révolte, c’est que la Gauche en tant que telle, telle que moi je l’entends, n’est pas prête à réfléchir sur ces sujets. Je ne fais pas confiance à Hollande, encore que Hollande n’est pas le plus déplaisant ces temps-ci, ni à Royal, ni à Strauss-Kahn, ni à Moscovici pour régler ce genre de problèmes.

 

Et pourtant, nous sommes condamnés à faire un choix dans une élection politique

J’ai plein de copains, les choix au premier tour vont être assez simples, parce qu’il y a quand même des gens à gauche qui sont différents. Au deuxième tour, le choix va devenir plus compliqué. On va aller vers une abstention, des votes nuls. Moi-même, je ne voterai plus jamais socialiste de ma vie, comme le Parti socialiste est actuellement.

 

 

Lire en ligne sur le blog Une image juste

> Un premier entretien avait eu lieu en janvier 2011 et avait été publié sur le même blog sous le titre : La classe ouvrière n’ira pas en enfer

Gilles Collas

blog Une image juste, 01/06/2011

 

 

Itinéraire d'un OS

Le livre de Christian Corouge est un grand et important ouvrage. Il représente sans doute le meilleur de ce qu’une sociologie critique est en mesure d’apporter à un public large, curieux et engagé. Comme le sous-titre l’indique, il s’agit de la retranscription d’un dialogue entre un sociologue (Pialoux) et un ouvrier, OS durant toute sa vie de travailleur. L’essentiel est composé par la retranscription des entretiens conduits durant les années 1983–1986, auxquels s’ajoute une postface réalisée, toujours sous forme de dialogue, en novembre 2010, quelques mois avant que Corouge ne parte en retraite. Ces entretiens avaient donné lieu à un rapport de recherche pour le ministère du Travail (« Le militantisme ouvrier aux usines Peugeot-Sochaux dans les années 1970–1980 », 600 pages) qui est demeuré à l’état de littérature grise. Une partie avait été publiée sous la forme d’une « Chronique Peugeot » en 1984–1985, dans la revue de sociologie, Les actes de la recherche en sciences sociales, éditée par Pierre Bourdieu.

 

On l’a compris, l’essentiel de ce travail remarquable porte sur une période bien antérieure à l’actuelle, la fin des années 1970 et le début des années 1980. Une bonne trentaine d’années après, au-delà de l’indéniable aspect archéologique, quel est alors l’intérêt de cet ouvrage, si tant est qu’il en présente un ? Si l’on prend la peine de présenter en détail le livre, le lecteur doit se douter que la réponse est de l’ordre du positif. Plusieurs aspects doivent être mentionnés. Tout d’abord, le lieu dans lequel se déroule le récit se situe en périphérie de l’histoire ouvrière, telle qu’elle s’est constituée dans l’Hexagone.

 

En effet, tant la sociologie que l’histoire qui se sont penchées sur cet aspect ont privilégié les usines Renault. Et ce pour de multiples raisons : il faut mentionner que le site historique, celui de Billancourt, sur l’Île-Saint-Louis, est situé à Paris même. Il est plus facile aux érudits de franchir la Seine que de traverser la France. Ensuite, en tant qu’usine nationalisée à la Libération, Renault a servi de laboratoire pour bon nombre de modifications du processus de travail (mensualisation des salaires, allongement des congés payés, par exemple). Ces transformations ont donné lieu à d’importants travaux, références incontournables de la sociologie du travail (par exemple L’évolution du travail aux usines Renault de Alain Touraine, 1955). Le site de Peugeot à Sochaux (Doubs, dans l’est de la France) a toujours joué un rôle périphérique dans l’intérêt des enquêteurs, même si un mouvement de rattrapage s’est effectué ces dernières années1. Avec ce livre, c’est la vie ouvrière dans la plus grande usine de France qui est abordée.

 

Le second intérêt repose sur la méthode choisie tout au long de l’ouvrage. En effet, le livre se présente comme un dialogue, ce qui permet un accès très aisé pour le lecteur. Le texte est écrit dans une langue fluide et accessible, bien que le fond du propos soit très sérieux. Cela renvoie à la conception de la sociologie illustrée ici : celle d’un rapport égalitaire entre l’enquêteur et l’enquêté. Le sociologue ne se prétend pas en position de surplomb à l’égard de l’ouvrier, dispensateur d’informations. C’est bien un échange, sur un pied d’égalité, où la connaissance et l’analyse surgissent de l’interaction entre les deux personnes. La rencontre avec le sociologue permet à l’individu Corouge d’accéder à un statut d’analyste de son propre parcours. Le sociologue joue ainsi le rôle que la psychanalyse joue dans d’autres groupes sociaux, souvent éloignés des milieux populaires. Cette approche de nature ethnographique permet ainsi d’aborder ce qu’il y a de plus intime dans l’existence d’un homme, d’un militant.

 

Le thème qui parcourt l’ensemble du livre est celui des conditions d’engagement pour un ouvrier qui, bien que muni de diplômes professionnels, va effectuer toute sa vie comme OS. Là aussi, il s’agit d’un déplacement important, car l’essentiel des travaux portant sur le militantisme ouvrier repose sur la catégorie des ouvriers qualifiés (OQ). Résultat, ce que rapporte Corouge est bien souvent éloigné d’une histoire magnifiée du mouvement ouvrier. À travers son parcours, c’est un pan de l’histoire ouvrière méconnu, pour ne pas dire nié, qui se révèle. En effet, après un premier engagement au sein de la CGT, puis dans foulée du PCF, dans la période de l’après-68, son histoire personnelle va se brouiller. En 1984, son destin bascule. Corouge avait déjà été exclu du PCF en 1974 pour « activités fractionnelles ». Il avait participé à la diffusion d’un film, Septembre chilien, tourné par Bruno Muel, quelques jours après le coup d’État de Pinochet en septembre 1973. Dans ce film, une protagoniste du MIR (Mouvement de la gauche révolutionnaire) déclarait aux spectateurs français qu’il fallait se méfier de la bourgeoisie et qu’en cas d’accession de l’Union de la gauche au pouvoir en France, il faudrait vraisemblablement envisager des formes de défense armée. Sacrilège pour le PCF qui ostracisa le film. Pour s’y être opposé, Corouge fut exclu. Mais en 1984, la rupture s’étend aussi au syndicat. Se déroulent alors plusieurs années où le destin de Corouge sombre dans le rouge. Le rouge de l’alcool, du désespoir à l’égard des engagements de la gauche qui ne remplit pas ses promesses. Corouge s’éloigne, pendant plusieurs années, de tout engagement. À travers son destin singulier, c’est l’histoire de la gauche, du mouvement ouvrier, du déclin du PCF qui sont ici abordés. Ce que l’ouvrier témoin raconte par le menu de la vie au travail, des rapports qui se nouent sur la chaîne, des relations à la hiérarchie, du travail épuisant, répétitif et destructeur de la santé, c’est le hiatus (pas comblé à ce jour) entre les aspirations populaires et la représentation politique incarnée par la gauche institutionnelle. On regrettera d’ailleurs que ce témoignage passe complètement à côté de la dissolution de la fédération du Doubs du PCF au milieu des années 1980 par la direction Marchais, cas rare dans l’histoire du courant communiste d’une fédération où l’opposition interne avait réussi à gagner la majorité. Durant ces années, Corouge vit une crise existentielle qui l’amène au vertige de l’alcoolisme, de la dépression et des tentatives de suicide. Crise très violente où le privé est ici directement politique. Il est rare de voir ainsi, sous une forme réflexive et non dans une espèce de pathos d’auto-apitoiement, côtoyer l’abîme d’un homme du commun.

 

Cependant, Corouge finira, bien des années plus tard, par « reprendre du service », acceptant de nouveau d’être délégué du personnel dans son atelier, tout en élargissant ses activités au-delà de l’usine (FCPE comme parent d’élèves ou responsable dans une association de locataires). En effet, ainsi que le lecteur le comprend, il y a dans son parcours un « accident », exceptionnel, mais qui va lui fournir des ressources rares étant donné son milieu social. En effet, comme il le raconte longuement, Corouge va faire la connaissance dans le courant des années 1970 d’un personnage décisif pour lui. À cette période, une rencontre improbable a lieu entre des intellectuels et des ouvriers militants, parallèlement à Besançon dans le prolongement de la grève de 1967 de la Rhodia et à Sochaux. Avec l’aide de cinéastes, les groupes Medvedkine vont voir le jour et réaliser plusieurs films militants (voir le DVD, Les groupes Medvedkine, Montparnasse-Iskra, 2006, ainsi que le témoignage du couple Muel2). Corouge participe activement à ce mouvement (il joue dans plusieurs des films du groupe Medvedkine), gagnant par là même une émancipation culturelle et un accès à la réflexion intellectuelle. Cette rupture dans son parcours l’amène à questionner les rapports du groupe des OS aux autres catégories ouvrières et à s’interroger, notamment, sur la question de délégation. Pourquoi les OS n’accèdent-ils que trop rarement à la parole? Comment faire, dans la pratique syndicale, pour que la parole syndicale puisse être appropriée par les plus démunis parmi les groupes ouvriers? Autant de questions essentielles, qui sont évidemment d’une brûlante actualité si l’on envisage que la rupture avec l’aliénation capitaliste doit être l’œuvre des opprimés eux-mêmes. On le constate, par le retour réflexif sur son parcours, grâce à la dynamique d’entretien, l’OS pose des questions qui sont au cœur d’une stratégie d’émancipation.

 

Ce livre dense nous plonge au cœur de l’évolution, des difficultés et des contradictions d’une pensée ouvrière, plus vivante que jamais si l’on en juge par les récentes grèves de l’automobile dans l’usine Toyota à Onnaing. Cette lecture renvoie donc à l’actualité la plus récente.

 

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1 Haztfeld Nicolas, Les gens d’usine. Peugeot-Sochaux, 50 ans d’histoire, Atelier, 2002 ; Hatzfeld N., Durand J.-Pierre, La chaîne et le réseau. Peugeot-Sochaux, ambiance d’intérieur, Pages deux, 2002.

Sur le mouvement ouvrier, on lira la thèse d’histoire, non publiée, de Claude Cuenot, Ouvriers et mouvement ouvrier dans le Doubs de la première guerre mondiale à la fin des années cinquante, Université de Dijon, 1993 ; le travail sociologique de Beaud Stéphane, Pialoux Michel, Retour sur la condition ouvrière. Enquête aux usines Peugeot de Sochaux-Montbéliard, 10–18, 2005 ; le témoignage de Marcel Durand, Grain de sable sous le capot, Agone, 2006, initialement publié aux éditions La Brèche ou, enfin, sous une forme romanesque, l’émouvant livre de Goux J.-Paul, L’enclave, Actes Sud, 2003

 

2 Muel Bruno, Muel-Dreyfus Francine, « Week-end à Sochaux (1968–1974) », in Dammame D., et alii, dir., Mai-juin 1968, Atelier, 2008. Lire aussi l’entretien de C. Corouge, « Un cinéma militant », Regards sociologiques, 2003, n° 24, disponible en ligne.

Georges Ubbiali

Tout est à nous !, 21/05/2011

 

 

Compte-rendu

L’ouvrage est le fruit de vingt-cinq ans de dialogue entre un ancien OS à l’usine Peugeot de Sochaux et un sociologue, spécialiste de la classe ouvrière. Ce qui en fait tout l’intérêt, même si le parti pris de conserver l’oralité des échanges en rend la lecture parfois roborative. Les conditions de travail telles qu’elles sont dépeintes semblent appartenir à autre siècle. Pourtant, Christian Corouge est entré chez Peugeot en 1968, à l’âge 17 ans ; il vient seulement d’accéder à la retraite. Entre-temps, trois grandes grèves, des sanctions, un divorce, deux tentatives de suicide… Le système Peugeot, avec son « mélange de répression pouvant aller jusqu’à la férocité et d’inculcation de l’esprit “maison” par l’octroi d’avantages matériels et la promesse d’avancement » n’est pas seul en cause. Les oppositions internes au monde ouvrier, entre OS et OP, et les dissensions entre syndicats finissent par le décourager. Depuis, les OS sont en voie de disparition, mais l’histoire recommence avec, cette fois, la figure de l’intérimaire, dont ces mêmes syndicats peinent à représenter les intérêts spécifiques.

Sylvain Allemand

Alternatives économiques, mai 2011

 

 

 

Compte rendu

Résister à la chaîne est l’aboutissement de nombreuses années d’entretiens entre le sociologue Michel Pialoux et Christian Corouge, ancien ouvrier des usines Peugeot de Sochaux. « Résister à la chaîne », le titre indique très justement qu’il est ici question du combat syndical quotidien de Christian Corouge. Cependant, à partir du militantisme au sein de l’usine, c’est une réflexion sur l’identité ouvrière qui est menée. Le langage, le comportement et les relations à la culture et avec les intellectuels en sont les pôles majeurs.

Le début de l’ouvrage est centré sur la résistance en tant que telle. La réflexion concerne la construction des rapports de force, en réaction aux conditions de travail, mais aussi l’intégration des travailleurs immigrés et des femmes dans les usines. Le questionnement sur la « résistance » ouvrière permet de mettre en avant le manque de considération envers les Ouvriers Spécialisés (OS). En effet, Christian Corouge rappelle que la condition de ces derniers a longtemps été ignorée tant des dirigeants de Peugeot, que de la direction de la CGT. C. Corouge doute de la réelle efficacité des lois Auroux pour améliorer les conditions de travail. Face à un syndicat que l’ouvrier décrit comme centré sur des problématiques générales, Corouge propose alors une autre forme de militantisme en affirmant l’importance d’un militantisme de terrain. Il remet dès lors en cause le rôle des « permanents ». Selon lui, ces derniers, en quittant les usines perdent de vue les problèmes quotidiens que rencontrent les travailleurs. La critique du travail des permanents du syndicat passe aussi par une intéressante réflexion sur le langage. C. Corouge revendique l’utilisation du vocabulaire des OS, y compris dans la rédaction des tracts. Il lui importe, par exemple, que les tracts soient rédigés par les membres du syndicat et non plus uniquement (exclusivement) par les délégués. Le questionnement sur la place des militants dans le syndicat est fondamental au cours des entretiens et constitue un point nodal pour comprendre le parcours de Christian Corouge. En effet, sa condition d’OS relève d’un choix certes professionnel mais avant tout personnel. La possibilité de quitter les chaînes de carrosserie de l’usine de Sochaux est évoquée à de nombreuses reprises.

Le retour sur le cheminement personnel de l’ouvrier permet de saisir ses choix. Issu d’un milieu militant de Cherbourg, titulaire d’un CAP d’ajusteur, Christian Corouge a quitté sa famille afin de se « libérer » d’une pression familiale certaine. L’évocation de son parcours personnel laisse apparaître un vif attrait pour la culture. Ainsi, ses débuts à l’usine de Sochaux ont-ils été marqués par la participation à un centre culturel associatif. Il s’agissait de permettre aux ouvriers de l’usine d’accéder à différents champs culturels : littérature, photographie, cinéma, théâtre…L’organisation d’activités lui a permis de rencontrer différents intellectuels. La question de la place de ces derniers est très sensible dans la relation entre le sociologue et l’ouvrier jusqu’à être à l’origine de tensions. M. Pialoux propose par exemple à C. Corouge de regarder un débat télévisé sur le communisme. Ne supportant pas le discours tenu par les participants (tant au niveau des propos que du langage), C. Corouge est irrité de ne pas comprendre ni de pouvoir répondre aux arguments évoqués. Il ne supporte pas de ne pouvoir porter plus loin la cause des OS. Il explique alors que ce n’est pas lui qui a « fait le travail » de l’ouvrage mais bien Pialoux. Ce dernier devient alors « l’interprète » des conditions de vie des OS de Sochaux. Tel serait alors l’un des rôles des intellectuels : être capable de transmettre, de faire voir ou comprendre les conditions de vie des soumis, y compris ceux qui sont soumis au « système Peugeot ».

Au-delà de l’intérêt intrinsèque que présente ce récit de vie, la richesse de l’ouvrage de M. Pialoux est de nous donner accès aux pensées d’un ouvrier portant un regard incisif sur sa condition. « C’est peut être là qu’il est le vrai problème, le problème culturel : le droit à l’expression » (p. 435). Finalement, le sociologue a donné à l’ouvrier un espace pour s’exprimer et pour faire résonner sa parole. Sa grande force est de savoir l’écouter et d’en être le passeur. Dès lors, ce serait une erreur que d’affirmer qu’il en est le traducteur tant ses commentaires restent rares et discrets. Il sait rester de bout en bout le guide de l’entretien.

Autour de la question du militantisme se cristallisent en effet les problématiques liées à la construction de l’identité ouvrière. L’ouvrage, en traitant des conditions de vie des OS dans les usines conduit à plusieurs réflexions. Dans un premier temps, c’est le syndicalisme centralisé qui est remis en question. Puis, l’évocation du suicide d’un des collègues de Christian Corouge rappelle que l’amélioration des conditions de travail est un problème ancien. L’ouvrage se conclut avec le départ à la retraite de C. Corouge. S’il paraît plus apaisé, il n’en demeure pas moins insatisfait.

Nicolas Befort

Liens socio, 15/04/2011

 

 

Une vie de luttes

Voici un livre qui retrace un dialogue engagé en 1983 entre le sociologue Michel Pialoux et Christian Corouge, ouvrier spécialisé et militant CGT à l’usine Peugeot de Sochaux. Commencée il y a plus de vingt-cinq ans, cette discussion sur le quotidien du travail à la chaine, la vie dans les ateliers ou encore les rapports de force avec le patronat ne s’est jamais vraiment interrompue. Pour preuve, fin 2010, les deux hommes reprennent leurs enregistrements, histoire de faire le point sur les évolutions du travail à l’usine mais aussi d’aborder de nouvelles thématiques, comme celle de la retraite. Tout un programme.

Sophie Labit

Regards, avril 2011

 

 

 

La classe ouvrière n'ira pas en enfer

Je publie le script d’un entretien téléphonique réalisé ce matin avec Christian Corouge, ouvrier chez Peugeot depuis 1969. Un homme qui n’a rien perdu de son idéal de progrès social après quarante ans d’usine. Une voix comme on n’en entend plus, et qu’il faut absolument écouter. Elle nous dit la réalité de ce monde du travail qui n’apparaît plus dans les journaux, à la télévision, et qui est toujours le socle de notre société.

 

Je suis parti à Sochaux en 1969. J’avais fait des études au CET du Maupas, à Cherbourg. Peugeot, Citroën, Moulinex embauchaient les gens qui sortaient de formation professionnelle. Les sergents recruteurs de l’époque faisaient les tours des CET. J’avais 18 ans. Je me suis installé dans un foyer de jeunes travailleurs, le cursus normal d’un jeune ouvrier déplacé à l’époque. Je suis devenu militant un mois et demi après être entré à l’usine. J’y suis resté parce que le militantisme me paraissait plus important que le reste, c’était une époque, après 68.

J’ai eu une chance dans ma vie, c’est à partir de 1969, de travailler dans le Groupe Medvekine. Je reste un des membres encore présents à l’usine, je suis le dernier, je crois. J’ai traversé toute cette période de ma jeunesse, jusqu’à 30 ans, avec ces gens, cinéastes, techniciens du cinéma, ce qui m’a permis d’avoir des rencontres différentes de celles d’un jeune ouvrier normal. J’avais beaucoup plus de contacts vers l’extérieur. J’ai milité, j’ai été longtemps élu comme délégué du personnel. J’ai arrêté de militer de cette façon-là parce que je m’y sentais à l’étroit. J’ai commencé à travailler avec Michel Pialoux et Stéphane Beaud sur des études sociologiques. Cela s’appelait Chroniques Peugeot. On faisait ça dans Actes de la recherche sociale, de Bourdieu. J’ai travaillé avec tous ces gens. Je continue encore à travailler avec eux puisque nous avons un livre qui doit paraître en mars, qui s’appelle Résister en chaîne, chez Agone.

 

Je suis toujours resté à l’usine. Il y a eu des moments où j’ai eu envie de la quitter, où on m’a proposé de la quitter pour travailler dans des conseils généraux, dans ces trucs à trajectoire militante normale de l’époque. J’ai toujours refusé. J’ai une espèce d’attachement à cette usine, pas sentimental, mais je fonctionne bien intellectuellement dedans, c’est mon cadre, c’est là que la vie se passe. Je n’ai pas trop mal vécu l’usine. L’histoire de l’usine, c’est une histoire de haine et d’amour. J’aime bien l’usine dans ses rapports sociaux, ce qu’on peut faire comme découverte, et, en même temps, je hais l’usine dans ses moments répressifs où cette pression considérable, qui s’exerce forcément sur les plus petits, ceux qui ne sont pas diplômés, ceux qui sont en bas de l’échelle. Il y a cette haine de l’usine et cette tendresse pour ce milieu ouvrier que j’aime bien.

Je suis passé ouvrier professionnel tôlier retoucheur il y a une dizaine d’années. Tant qu’il y avait la répression syndicale féroce, j’étais resté OS. Je travaillais toujours en chaîne. Il y a une dizaine d’années, quand il y a eu des grands procès pour discrimination syndicale, on m’a proposé de passer professionnel. Pendant trente ans, j’ai été OS sur les chaînes. C’est terrible de travailler en chaîne. Mais ce n’était pas terrible parce qu’on savait pourquoi, parce qu’on avait un engagement syndical. Je n’étais pas en mission, je ne suis pas prêtre. Mais je savais très bien qu’en militant, c’était comme ça.

 

L’usine à Sochaux en 1970, c’est 45 000 personnes. En 2011, on n’est plus que 12 000. Tout est passé à la sous-traitance. Si on regarde le nombre d’emplois sur le bassin industriel du Pays de Montbéliard, à 5 000 près, il y a autant de personnes qui travaillent. Sauf que les gens qui travaillaient à l’usine travaillent maintenant chez les sous-traitants, avec des salaires amoindris, beaucoup d’intérim, et des libertés syndicales, politiques et même de déplacement à l’intérieur de leur propre usine très réduites. La pression est très forte. Il y a beaucoup d’immigration, beaucoup de femmes isolées, des horaires de travail impossibles. C’est comme cela que s’est traduit la transformation du tissu industriel dans la région. Et en même temps, on a assisté à une espèce de ringardisation des ouvriers. Il arrivait des militants dans la Gauche traditionnelle, très différents, très carriéristes. Les ouvriers, on les a mis en marge dans les prises de décisions, on ne les a même plus consultés, en disant qu’on ne comprenait plus rien, dépossédés par la technique, par l’informatique qui se mettait en place.

Chaque homme porte en lui une somme de révolte. Révolté par ce qu’on voit, ces attaques répétées sur les plus pauvres, les plus démunis. Faire payer les pauvres, c’est ça le vrai problème. Il est déjà dans la mise en route de cette Europe qu’on nous a bien vendue comme étant un lieu social. Or, on s’est aperçu qu’il s’agit de faire baisser nos salaires pour augmenter un peu ceux des pays de l’Est, des pays asiatiques. Et tout cela avec un désengagement de l’État.

Moi, je suis resté dans une logique où l’État doit être protecteur parce que lui seul peut réguler un marché qui est dans une recherche de profit épouvantable. Ce mouvement de révolte, les organisations comme le Front de Gauche en sont un peu l’aiguillon qui permet d’emmener un débat un peu différemment. Je ne suis pas adhérent au Front de Gauche, je ne suis pas adhérent au PC. Politiquement, je ne suis engagé nulle part. Je participerai (NDLR: au débat organisé par le Front de Gauche à Cherbourg le jeudi 13 janvier) parce que cela me semble nécessaire qu’il y ait des paroles ouvrières qui soient données parce que cela fait longtemps que le Parti socialiste a abandonné l’idée des ouvriers. Les socialistes préfèrent même, à la limite, que les ouvriers n’aillent pas voter et rester entre eux, petits technocrates, petits énarques, tranquilles, en faisant leurs salades, tout ça en oubliant la réalité sociale du mal-être, du mal-vie. Moi, cela me rend profondément triste.

 

La difficulté est créée par un type de société qui a été mis en place, l’endettement des ménages, cette façon de prêter du fric facilement aux gens et les tenir coincés par un crédit. On dégrade l’habitat social. Dans le Pays de Montbéliard, il y a des grands ensembles qui ont été bâtis dans les années 70, 75, pour accueillir tous ces ouvriers, on les a laissés se dégrader d’une façon épouvantable, on a mélangé tous les travailleurs qui pouvaient venir, Marocains, Turcs, Yougoslaves, et on a permis à ceux qui travaillaient encore un peu de bâtir une maison, pas un château, une petite maison. Mais il faut rembourser et ça, c’est la corde au cou. D’une classe ouvrière qui était locataire dans les années 70, on est passé à une France de petits ouvriers propriétaires de petites maisons, mais avec un endettement considérable. Ils ne peuvent plus se permettre de manquer seulement une journée de travail, de débrayer une heure parce que la pression est trop forte. Le système du mérite a été mis en place, il ne faut pas manquer, il faut toujours être servile pour pouvoir bénéficier d’une petite augmentation de 15 ou 20 €, ce qui permet de mettre un peu de beurre dans les épinards. C’est toute la société qui est transformée. Cela ne s’est pas opéré comme ça, indépendamment de tout. Il y a eu une réflexion politique pour arriver à cet état de fait. On endette les ouvriers. Les gens sont très révoltés et ne voient plus comment s’organiser.

En même temps, on a bien vu pour les retraites que rien n’était si simple, on a assisté à des mobilisations importantes, avec des soutiens populaires importants des gens qui ne pouvaient pas faire grève qui étaient tout à fait solidaires. Ce que je crains plutôt, avec l’attitude de Sarkozy et du Parti socialiste, c’est qu’on arrive à un vrai vote d’extrême droite. Ce qui fait très peur. Chez les ouvriers, à force de voir le Parti socialiste s’entre déchirer entre des Vals et des Hollande, des Royal et des Strauss-Kahn, on se dit « tous pourris, autant voter extrême ». C’est ça le danger, c’est pour ça que le Front de Gauche a son intérêt, qui est de contrebalancer toutes ces idées préconçues. Avoir des valeurs de Gauche, c’est avoir des valeurs de solidarité, sentimentales, éthiques, qui sont complètement différentes.

 

J’ai 60 ans, je pars en retraite au mois de mai. À Montbéliard, il y a un grand musée sur l’automobile. Peugeot présente ses merdes, ses vieilles bagnoles, aux touristes. Il m’a toujours semblé anormal qu’il n’y ait pas un musée de l’histoire sociale de l’usine. C’est bien joli les bagnoles, mais il y a eu des centaines de milliers de gens qui y ont travaillé dans cette usine. J’aimerais bien qu’un jour leur histoire sociale y soit montrée, développée, analysée, toute cette histoire de grèves, de malentendus, de répression, de collaboration pendant la guerre. On va mettre au point cette histoire sociale du Pays de Montbéliard.

 

*************

> Une suite à cet entretien, réalisée aux premiers jours de mai, juste après le départ en retraite de Christian Corouge a été mise en ligne sur le même blog le 1er juin sous le nom : La Révolte n’est pas loin.

> Lire l’article en ligne sur le blog Une image juste

Gilles Collas

blog Une image juste, 10/01/2011

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20 mars 2011 7 20 /03 /mars /2011 18:10

index.jpgVendredi 25 mars à 20h

Projection–débat organisée par l'association Mondes et multitudes

Dans le cadre du cycle de conférences/projections:

Femmes de ménage d'ici et d'ailleurs

Cinéma l'Univers

16 Rue Georges Danton

59000 Lille

 

 

Sur le documentaire, extrait du site du même nom :

 

Note d’intention

 

Dans le contexte français de transformation de l’organisation du travail, de précarisation du salariat – et des droits qui lui sont attachés – , de déclin du syndicalisme, l’engagement syndical peut sembler relever du défi.

 

En période de crise économique durable et de licenciements massifs comme nous l’expérimentons aujourd’hui, l’engagement syndical peut au choix être considéré comme vain et dépassé, ou comme un ultime rempart contre l’affaiblissement de l’Etat social et de la protection des travailleurs. Une force tissée de solidarités face à la violence du monde et des rapports de travail.

Les femmes que nous découvrons au long de ce film ne se sont pas toujours posé la question en ces termes. Elles ont simplement opté pour l’action collective face aux injustices rencontrées dans leur milieu de travail. C’est leur quotidien de salariées, les rapports avec la direction, les heures non payées, le harcèlement subi par des collègues, l’utilisation croissante d’une main d’œuvre précarisée dans des entreprises publiques… qui leur ont fait sauter le pas et s’engager.

 

Ce ne sont pas des héroïnes, mais peut–être des pionnières. Car elles ont non seulement dû surmonter des épreuves liées à leur syndicalisation, mais aussi à leur sexe et à leurs origines sociales et géographiques. Se créer une place malgré tout, devenir actrices du changement social, au prix parfois de blessures toujours vivaces qui chargent d’émotion leurs témoignages.

 

Nous les filmerons sur plusieurs mois afin de couvrir au mieux les différentes dimensions de leur quotidien. Nous filmerons aussi leur entourage professionnel, militant, familial. Surtout, c’est sur elles que nous maintenons notre regard, en action, en relation avec d’autres, ou encore en face à face avec nous.

 

Pour elles l’essentiel est d’agir au plus près du terrain, de leurs collègues, de ceux qui les ont élues et qu’elles représentent, même si ou y compris lorsque leur parcours syndical les a éloignées de leur poste de travail. Il s’agit souvent d’un travail de fourmi, parfois d’actions d’éclat. Souvent de négociations, parfois de coups de gueule. Nous saisirons ces différents moments, leurs potentiels et leurs limites, les frottements qui en résultent avec les collègues, les camarades, les patrons, parfois dans la famille.

 

Ce faisant, elles portent toutes une revendication intriquée à la défense des salariés : la reconnaissance des femmes et des immigrés comme des acteurs à part entière de la société française.

Enjeux

 

Petits et grands défis traversent leurs journées. Nous les suivons dans cette tension, et découvrons au fur et à mesure qui elles sont, leur parcours, leurs colères, leurs espoirs. Derrière la militante se profile une femme à la fois ordinaire et particulière. Qui tout en préparant la négociation collective ou la grève à venir gère au téléphone portable l’anniversaire du petit dernier ou la délivrance de la carte d’identité du grand. C’est justement en nous appuyant sur leurs préoccupations du jour et ce qu’elles mettent en œuvre pour s’y atteler que nous construisons ce film.

Sa structure narrative s’articule autour de ce que leur journée leur réserve : ce qu’elles ont à faire, ce qu’elles ont à gagner au cours des heures qui viennent. Cet axe permet de les découvrir dans toute leur complexité, notamment en plongeant au cœur des motifs de leur engagement, et d’incarner au fil des situations, des rencontres, des dialogues saisis, un angle de vue particulier sur le monde du travail salarié et du syndicalisme aujourd’hui.

Portraits croisés

 

En entrelaçant leurs portraits, nous montrerons qu’elles cherchent à obtenir plus encore que le respect des droits des travailleurs qui motive leur engagement syndical. Par cet engagement, elles réparent le mépris vécu par leurs parents, ou par elles–mêmes, au travail et dans le reste de leur vie sociale. Elle se réapproprient des valeurs de solidarité transmises par leur famille ou dans les collectifs de travail, elles espèrent peser en faveur de l’avenir de leur enfants. C’est animées de ces différents moteurs qu’elles agissent.

L’enjeu de leur action au quotidien est celui d’une société plus juste, et elles se heurtent, chacune dans un contexte précis de travail et de militantisme, à de multiples résistances au changement.

 

Cependant elles tiennent, car ce cheminement est aussi celui de leur propre(s) émancipation(s). La diversité de leurs parcours, de leur secteur d’emploi, de leurs espaces syndicaux d’action, des générations permet de tirer ces différents fils et permet que l‘une réponde à l’autre ou développe une thématique spécifique.

 

Cet ensemble forme progressivement un tout, fondé sur une expérience sociale commune de salariée issue de l’immigration en lutte.

Voici pour nous quelques bonnes raisons d’en faire un film

 

...Parce qu’action, mobilité, regard et parole tissent la toile de fond de notre rencontre.

Parce qu’elles racontent des Histoires, et qu’elles les racontent pour plusieurs générations : l’ancienne, celle des parents au pays ou en France, qui a connu la colonisation, la guerre d’Algérie, l’émigration et l’arrivée en France marquée du sceau de l’exploitation au travail et du renvoi perpétuel à l’illégitimité de leur installation.

C’est une adresse aussi à leurs enfants, faite de mémoire, d’espoirs et d’inquiétudes quant à leur avenir. Fortes d’expériences passées, elles agissent aujourd’hui pour leur reconnaissance sociale et celle, demain, de leurs enfants.

Parce que nous espérons que ce film circulera et provoquera prise de conscience, débats, et pistes d’action dans les lieux de travail comme dans le reste de la société.

 

Résumé du film

 

Ce film s’intéresse à des pionnières.

 

Elles sont migrantes ou filles d’immigrants, et syndicalistes. Elles ont choisi de s’engager face à la dureté des conditions de travail et à la précarité des salariés dans les secteurs du nettoyage, du commerce, des services aux particuliers, d’industries à l’agonie, où l’on retrouve nombre de femmes issues de l’immigration.

 

En provenance d’Afrique du Nord et d’Afrique de l’Ouest, elles s’inscrivent dans une histoire migratoire post-coloniale qui imprègne leur cheminement individuel. Travailleuses et syndicalistes, elles bousculent les stéréotypes sur les « femmes immigrées ».

 

Activistes en milieu masculin, elles sortent des rôles féminins attendus.

 

Enfin, elles ne cessent de se déplacer : des banlieues de résidence à leur lieu de travail, d’un lieu de travail et d’une région à l’autre lorsque l’usine ferme ou qu’elles sont licenciées, de leur lieu de travail au syndicat, de « tournées syndicales » en négociations, de réunions en manifestations, de l’espace public aux espaces privés.

 

Traversant et retraversant ces multiples frontières, elles incitent leurs interlocuteurs à modifier leur regard sur les femmes, sur les immigré-e-s, sur les ouvrièr–e–s et les précaires. Elles sont peu nombreuses dans ce cas : Nora, l’assistante maternelle dont les premiers pas de secrétaire générale ouvrent le film est l’une de ces pionnières, tout comme Dorothée, Keira, et Anissa.

 

Par–delà les conflits du travail, elles nous racontent une démarche d’émancipation individuelle et collective dans une société où sexisme et racisme restent d’actualité, tandis que s’accentue la précarisation du salariat. Dans l’espoir d’être traitées, enfin, « d’égal à égales ».

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20 mars 2011 7 20 /03 /mars /2011 18:01

affichettebarricade72dpi-2-5cedf.jpgPour fêter le 140ème anniversaire de la Commune de Paris, nous reprendrons notre spectacle

Barricade

 

du 18 Mars au 10 Avril 2011 à La Belle Étoile

 

Jeudi, vendredi, samedi à 20h30

Dimanche à 16h

Réservations conseillées au 01 49 98 39 20 Tarifs 18 euros et 10 euros

 

 

Inspirée des Ecrivains contre La Commune de Paul Lidsky, de Printemps 71 d’Adamov, mais aussi de chansons d’époque, Barricade donne vie a un quartier populaire de Paris pendant La Commune.

En regard, les écrits de nombreux intellectuels de l’époque (Goncourt, Flaubert, Renan, Dumas-Fils, Zola...) en rappellent la vision Versaillaise.

 

L’Histoire :

Nous sommes en 1871.

Après la guerre et l’armistice, Paris doit être occupé par les Allemands.

Le gouvernement français collabore.

Le peuple lui, refuse cette aliénation.

Il s’insurge et résiste à l’envahisseur et à son gouvernement félon.

De cette paix honteuse naîtra la première révolution sociale de l’humanité :

"La commune de Paris"

 

La pièce :

Barricade est l’histoire d’Henriette. Marchande de fleurs, elle se lance dans la Commune à corps perdu, avec générosité ; elle ne comprend pas tout ; elle aura peur…

De Lulu, son petit frère, il comprend plus, parce qu’il vend des journaux ? Parce qu’il est amoureux… d’une internationaliste ?

De Pierrot, Hercule, Raoul qui donneront tout pour cette République Universelle qu’ils n’avaient jamais osé rêver.

De Jeanne visionnaire aveugle, peu écoutée, c’est une femme…

De Robert l’intellectuel, trop gentil, naïf…

C’est l’histoire de tous ces gens qui ont cru à l’honnêteté, à la justice, en la légitimité,… en l’homme… jusqu’au bout.

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