La manif nationale « Maintenant ça suffit » du 12 avril dernier n'a pas fini de provoquer des remous dans la CGT. En témoigne encore dernièrement l'organisation par la confédé d'une journée d'étude sur le rapport au politique. Un retour critique s'impose donc.
Cette marche était à l'origine appelé par Besancenot, rejoint par Mélenchon, alors en pleine guerre interne avec le PCF à propos des municipales, PCF qui s'est réattribué a posteriori la paternité de l'appel. De nombreuses organisations ou personnalités du monde syndical, associatif et politique ont ensuite élaboré un appel et préparé la mobilisation, parmi lesquels des responsables de fédérations CGT.
Premier constat : si avec 50000 participants la manif est un succès très mitigé, elle a néanmoins polarisé les débats dans le mouvement social pendant plusieurs semaines, démontrant une réelle attente de la part des militant-e-s pour ce type d'initiative. Contrairement à ce qui a pu être dit, l'appel n'avait rien de léger politiquement, puisqu'il taclait franchement le gouvernement et ses « renoncements devant les exigences du Medef et de la droite en matière sociale, environnementale, familiale, et sur le droit de vote des étrangers » et sa politique d'austérité comme responsable de la montée de la droite et de l'extrême droite et exigeait clairement « l'abandon du pacte de responsabilité ».
Pour un appel unitaire, c'est déjà très bien, et cela permettait de délimiter un arc de forces d'opposition au gouvernement et à la droite. L'appel n'avait par ailleurs rien d'électoraliste, concluant uniquement sur « une dynamique pour une alternative sociale, démocratique, écologique et féministe, fondée sur la solidarité », bien qu'il y ait eu de sérieuses récupérations politiques, nous y reviendrons.
Il est en tout cas fondamental de regrouper le plus largement toutes les forces pour faire barrage à l'austérité, syndicales, politiques, associatives, et aussi dans de grandes manifestations le week-end, qui ne réunissent pas la même population que lors des journées d'action en semaine. On l'avait déjà constaté lors du mouvement contre les retraites de 2010. On a ainsi vu la CGT, Solidaires et les organisations politiques mobiliser, mais aussi des collectifs de sans-papiers, Droits Devant !, ATTAC, des associations de défense des services publics, etc.
Quelle implication syndicale dans ces initiatives ?
La confédé s'est refusée jusqu'au bout à s'inscrire dans la construction de cette initiative, le clamant haut et fort dans les médias, au nom de l'indépendance syndicale. Elle était avant tout gênée aux entournures car cela contredit son « refus du camp du non » et son syndicalisme de proposition, de négociation et d'action, bref son refus de s'engager fermement contre le gouvernement, qui n'est pas complètement étranger à la présence de militants PS au bureau confédéral.
Problème : plusieurs dirigeants fédéraux (Services publics, finances publics, Industries chimiques, Équipement, UGFF...) ou d'UD (toute l'URIF, Tarn-et-Garonne, Bouches du Rhône...) se sont engagés dans la construction du 12 avril (voir notamment l'article paru dans l'Humanité ( http://www.humanite.fr/contre-lausterite-pour-legalite-et-le-partage-des-richesses ).
On retrouve parmi ces camarades Valérie Lesage, dirigeante confédérale dont la remise en cause de l'action de Lepaon : http://communisteslibertairescgt.over-blog.net/article-bureau-confederal-valerie-lesage-fait-resonner-les-debats-qui-traversent-les-syndicats-122937290.html a largement circulé en interne et en externe. Et on identifie parmi ces camarades des militants de la gauche du PCF.
Bref, tout s'entremêle. A la fois la participation au 12 avril s'inscrit dans la continuité de la contestation de la ligne de Lepaon, sans aller jusqu'à l'assumer publiquement, mais c'est presque tout comme. Et en même temps ces camarades ont aussi une boussole politique : le Front de gauche ayant du plomb dans l'aile, ils cherchent une issue via l'émergence d'une alliance politico-syndicale qui redistribuerait les cartes, mais où le PCF aurait une place dominante. C'était en tout cas le sens de certaines interventions dans les réunions de préparation du 12 avril. On les rejoint sur le premier point, pas sur le deuxième.
Le nœud du problème, c'est la place qu'occupe le syndicalisme dans ce genre de regroupement. Si l'on considère que le syndicalisme est politique, au sens où il a un double rôle à la fois de défense immédiate des salariés et de transformation de la société, comme l'établit la Charte d'Amiens, alors la CGT doit impulser des initiatives de rassemblement qui la dépasse. Cela n'a rien de contradictoire avec la construction de grève dans les entreprises, qui restent le cœur de la lutte des classes. Et cela n’est en rien contradictoire avec l’indépendance syndicale qu’il s’agit d’entendre comme la capacité autonome de la Cgt à porter sa stratégie, ses revendications et son projet. Du reste, et parce qu’on ne résiste pas à une petite pointe d’ironie, plusieurs membres de la CEC et du BC invitaient les militants Cgt à ne pas se cacher derrière une étiquette politique pour faire part de leur combat. Certes, mais on pourrait retourner le même conseil à ceux-là mêmes qui œuvrent et manœuvrent depuis des années au sein de la Cgt pour la mettre sur les rails d’un syndicalisme respectable aux yeux de l’Etat et du patronat.
L’AG du 21 juin et la Cgt
La marche du 12 avril aurait pu être une telle initiative... si les organisations syndicales s'étaient franchement engagées. Évidemment le fait que l'initiative vienne à l'origine de Mélenchon et Besancenot n'a pas aidé. Ceux-ci ont directement placé la marche sous une couleur politique, cantonnant les associations et syndicats à des signatures de personnalités. C'est un des principaux reproches circulant dans la CGT contre les camarades ayant signé l'appel des personnalités pour le 12 avril : ils l'ont fait sans laisser le temps au débat interne, faute de temps, même si souvent leurs structures ont confirmé leurs choix.
Notons que Solidaires a également été très en retrait dans la préparation de la marche, pour des raisons similaires d'indépendance politique.
Au final, c'est bien la frilosité des organisations syndicales qui a validé leurs craintes : la mobilisation a été essentiellement politique, avec une récupération politique caricaturale. On peinait ainsi parfois à distinguer les cortèges CGT des cortèges PCF. Les suites semblent être du même tonneau, avec une AG des collectifs locaux le 21 juin pour discuter d'une plate-forme revendicative nationale. Dans la mesure où le PCF s’est borné uniquement à coorganiser les montées en car, on se demande bien d'où sortiront ces collectifs locaux, ou en tout cas on se doute fortement de la coloration politique qu'ils auront... Mais la réalité sera autres : essentiellement des responsables d’organisations nationales. En ce sens, il importe que les fédérations et UD engagées dans la manif du 12 avril soient à l’initiative dans cette réunion, à partir des éléments évoqués plus haut.
Que retenir de tout ça ?
A la fois l'opposition à la ligne Lepaon émerge, sous des formes multiples, et c'est très bien. Cela se fait en même temps que l'émergence d'un front politico-social contre l'austérité. Mais ce front est encore bien fragile, voire mort-né. Il nous faut donc mener le débat dans nos structures pour que les secteurs combatifs de la CGT assument clairement la construction d'un tel front, où le mouvement syndical serait dominant. Cela ne se substitue pas à la construction de résistance dans les entreprises, mais vient en complément.
Enfin, la contestation de la ligne Lepaon se résume souvent de la part de certains courants gauche du PCF à marquer des différences de tactique (le 12 avril en plus du 1er mai et du 15 mai). Alors que c’est aussi le fond de l’orientation qu’il nous faut débattre : mettre en cause des revendications et un projet syndical illusoire d’un compromis social avec les forces du Capital (d’où les concepts de développement humain durable, de surcoût du capital, la lutte conçue dans l’objectif d’un nouvel équilibre et non comme moyen pour changer radicalement de société ; et les malheureuses mais oh combien révélatrices déclarations de Lepaon sur les intérêts communs que salariés, patrons et actionnaires ont au sein des entreprises – voir ici l’interview).