Nous avons déjà évoqué la grève victorieuse des personnels précaires du ménage de
l'université de Jussieu contre leur licenciement.
Avant la grève : un travail militant continu
D'abord, cette grève ne sort pas de nulle part. Elle est la conséquence d'un travail
militant continu de la part des organisations syndicales de lutte, en particulier la
CGT, sur la fac.
L'intersyndicale nationale de l'enseignement supérieur et de la recherche a lancé à
l'automne 2009, sur impulsion de la CGT, une campagne nationale contre la précarité,
s'appuyant notamment sur une enquête sociologique décrivant avec précisions
l'étendue de la précarité dans ce secteur (voir le site intersyndical
http://www.precarite-esr.org/). Les syndicats CGT de Jussieu (Fercsup et SNTRS) se
sont appuyés sur cette campagne pour tenter d'initier une mobilisation locale, en
lien avec la FSU, Sud et FO. Des réunions d'informations par services et labos, puis
une assemblée générale de précaires, ont été organisées, aboutissant à la rédaction
d'un cahier revendicatif. Plusieurs personnels précaires sont ainsi venus solliciter
la CGT pour être défendus.
A cela s'ajoute une intervention constante de la CGT en direction de ce service (où
personne n'était syndiqué avant la grève) sur les conditions de travail, les locaux
etc.
Quand l'administration de la fac a tenté une première vague de licenciement au
service du ménage au mois de juillet 2010, c'est donc tout naturellement que les
personnels se sont tournés vers les organisations syndicales. La présidence a
l'habitude de contourner toutes les instances statutaires (CTP, CA etc.) tout en
organisant moults réunions non-statutaires où les syndicats comme l'UNSA sont
sur-représentés et la CGT sous-représentés. Une telle réunion étant justement
organisée sur le thème de la précarité, c'est tout naturellement que l'idée
d'envoyer une délégation à cette occasion a émergé. La présidence, la CFDT et l'UNSA
n'était pas très contents mais le résultat est là : tous les personnels menacés de
licenciements ont été réintégrés.
Quelques têtes ont ensuite sauté au sein de l'administration. Celle-ci a également
tenté une représaille par le licenciement de l'élu CGT à la commission paritaire des
non-titulaires mais s'est finalement rétracté.
La suite a déjà été racontée.
En bref, la présidence a tenté de ne renouveler aucun des 30 CDD se terminant fin
décembre. L'intersyndicale a d'abord lancé une pétition qui recueillera au total
5500 signatures (sur 20000 personnels plus les étudiant-e-s) puis, devant
l'intransigeance de la direction, l'ensemble du service du ménage s'est mis en
grève. Après 9 jours de grève totale, l'ensemble du personnel a été réintégré.
Substitution contre auto-organisation.
Cette lutte démontre que les précaires peuvent faire grève et gagner. Cela va à
l'encontre d'une croyance commune dans le mouvement syndical et largement relayée
par nos bureaucraties, énonçant qu'il est trop dangereux pour les précaires de faire
grève et que les organisations syndicales et/ou les personnels titulaires doivent
donc se substituer à leur action. Ainsi, les revendications des précaires sont
souvent portées de façon extérieure par les organisations syndicales, avec tous les
travers que cela induit. Par exemple, bien des syndicalistes se sentent obliger de
justifier la lutte contre la précarité par le fait que « la précarité nuit à tout le
monde, précaire comme titulaires », alors que ça n'est pas le problème. Du coup, les
précaires ne se sentent pas représentés, ne se syndiquent pas et le cercle vicieux
est fermé.
Bien évidemment, il est plus dur pour les personnels précaires de faire grève et de
revendiquer leurs droits. Les organisations syndicales doivent donc être en situation d'impulsion
de leur action par moment : comme nous l'avons décrit plus haut, une grève n'émerge pas
de nulle-part. Mais en dernier ressort, pour reconstruire une conscience collective
et des syndicats de lutte parmi les précaires, leur action directe est
incontournable.
A Jussieu, le clivage entre UNSA-CFDT d'un côté et CGT-FSU-FO-SUD de l'autre ne
s'est pas tant fait sur les modes d'action à employer (grève ou juste pétition) que
sur le soutien ou pas aux modes d'action et aux revendications décidés par les
personnels concernés. Celles et ceux-ci étaient d'ailleurs bien plus déterminés que
la plupart des militant-e-s syndicaux, tout bord confondu, pour la bonne et simple
raison qu'ils et elles étaient directement concernés par les licenciements et la
grève. La CGT a joué le jeu jusqu'au bout en assistant simplement en observateur aux
AG de grévistes et en soutenant toutes leurs décisions.
Au-delà de cela, cette grève montre que faire grève, c'est encore possible et
efficace dans les facs, ce qu'une bonne partie des collègues ont oublié, comme on a
pu le constater lors du mouvement social des retraites de l'automne 2010, où aucune
fac n'a réussi à partir à plus d'une poignée en grève.
Sur les 9 jours de grève, 3 ne seront pas retirés des salaires et 4 pourront être
couverts par les caisses de grève des grévistes (largement alimentée par les
personnels) et de l'intersyndicale.
Et maintenant ? On continue !
A l'issue de cette lutte, la plupart des personnels du service ont choisi de se
syndiquer à la CGT. Ils et elles le font en connaissance de cause, pas (juste) pour
grappiller quelques euros de plus à la fin du mois. Les personnels sont bien
conscients que l'externalisation des services techniques est encore d'actualité pour
la présidence, qu'ils ne sont pas titularisés et qu'être organiser collectivement
sera une force dans le futur. Des camarades du ménage ont ainsi participé à une AG
sur la précarité dans l'enseignement supérieur et la recherche organisée par les
grévistes de l'École normale supérieure et à la manifestation du 20 janvier contre
la précarité dans la fonction publique.
La lutte des personnels de l'École normale supérieure de Paris est un autre exemple
extrêmement intéressant. Les personnels précaires de la cantine y sont en grève
depuis 2 mois. Il s'agit d'un mouvement offensif : les personnels n'étaient pas,
comme à Jussieu, menacés de licenciements. Ils ont décidé d'entrer en lutte parce
qu'ils étaient exaspérés des CDD à répétition. Des contacts avec les militant-e-s
étudiant-e-s de l'ENS ont servi d'électrochocs.
Ce qui manque en général, ce n'est pas tant la détermination des salarié-e-s
précaires. Si ceux-ci se sentent soutenus par des organisations syndicales et des
personnels titulaires, s'ils réalisent qu'il est légitime de se battre, alors tout
est possible.
Alors assez de misérabilisme et vive les luttes de travailleur-se-s précaires !
Mariman